Hurl-ô-blanc
Après
plusieurs semaines sans écrire pour écrire, sans lire pour lire, se
lancer dans un texte pour le simple plaisir de le faire devient un
art complexe, car des semaines de travaux littéraires obligés et,
surtout, productifs, paralyse cette capacité à laisser tomber les
barrières de la discipline et à laisser libre cours à une
créativité que l'on doit maintenant débrider plutôt que contrôler
(pour ne pas dire réprimer).
L'hiver
me frappe chaque année par sa blancheur. Je sens que l'univers
entier se ligue pour me livrer une seule et unique information :
BLANC. Hurlé haut et fort du haut de nuages infinis et insipides, la
neige m'entoure, m'assiège par son ennui glacé. En dessous, le vert
de l'herbe, le gris de la pierre, le bleu de l'eau que j'aimerais
garder. Au loin, mais tout de même en dessous, le noir du goudron,
le blanc des trottoirs, l'odeur des poubelles que j'aimerais oublier.
Exception intrinsèque à l'ère post-industrielle, les routes où le
blanc devient noir, brun et gris. Les routes, seuls chemins
praticables entre A et B, A, l'endroit où je suis, et B, l'endroit
où je vais et ou je dois aller, et où je me retrouve embourbé
plusieurs fois par jour.
On
retrouve, dans la culture populaire, de grands espaces blancs qui symbolisent la pureté, le calme et le paradis y est juché sur des
nuages immaculés. Pourtant, l'absence de couleurs en est aussi une
d'informations, de moyens ou d'idées, c'est peut-être pourquoi dans
certains films de science-fiction, le couleur blanche devient parfois
celle de l'enfer, du mal et de la mort, venant ainsi renforcer un
sentiment d'aliénation chez le téléspectateur. Encore plus
paniquante est la blancheur lorsque celle de la feuille n'est pas
troublée par l'encre ou la mine du crayon d'un auteur au désespoir,
incapable d'écrire, car peut-être paralysé par une discipline
incompatible avec le caractère imparfait de son ébauche mentale ou
par les liens qui maintiennent sa créativité, bridée, ou réprimée…
...
Si
étaient assemblées l'une à la suite de l'autre chacune des pages
de chacun des livres de chacune des étagères de chaque salle de
l'infinie Bibliothèque de Babel telle que décrite par Borgès et
que celles-ci étaient méticuleusement copiées sur une seule et
unique page, cette page serait plus noire qu'une énigme sanglante et
nocturne imbriquée dans un contexte palustre par lune noire. Dans ce
seul carré noir, résumé écrasé de tous les livres possibles au
sens probabiliste du terme, comme le décrit par l'Auteur :
« Tout
ce qu'il est possible d'exprimer, dans toutes les langues. Tout :
l'histoire minutieuse de l'avenir, les autobiographies des archanges
(…) l'évangile gnostique de Basilide, le commentaire de cet
évangile, le commentaire du commentaire de cet évangile, le fait
véridique de ta mort, la traduction de chaque livre en toutes les
langues, les interpolations de chaque livre dans tous les livres… »
Et
si de ces innombrables lignes, nous tirions plutôt toute la noirceur
du monde, non pas celle des mots sur le papier et du démoniaque
figuré, mais celle qui fait peur dans une brume nocturne. Ce noir
serait les infinies explosions d'insondables murmures porteurs de
tous les mensonges et non-sens que portent les pages de la
Bibliothèque de Babel, de chaque vérité et de ces milles
déclinaisons que nul n'oserait imaginer ou ne saurait se montrer
digne de trouver.
Si
j'aime à imaginer le blanc comme absence et les ténèbres comme une
toile absurdement dense cachant ce que tous cherchent, ou craignent,
mensonges et vérités, c'est peut-être pour rationaliser mon dégoût
de l'hiver. C'est peut-être aussi parce que j'ai envie d'écrire,
parce que j'aime écrire, et que devant moi ne se dresse plus qu'un
seul examen pour un cours qui a avalé chaque semaine une part
importante du temps que j'aurais donné à lire et écrire en
m'obligeant à écrire et lire. Et finalement, parce que ces mots
glissent l'un sur l'autre dans mes pensées depuis plusieurs nuits.
Odin
Après plusieurs mois sans te lire, sans passer comme ça, à l'improviste, c'est toujours aussi agréable de soulever tes traits d'esprit.
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