Bonne fête Yann
Aujourd'hui, on m’a
rappelé mon anniversaire et je commence à écrire avant même de m’être
souhaité une bonne fête.
Aujourd'hui, ça fait
deux décades que j’existe. De 1994 à 2014, 20 années où mon cœur ne s’est arrêté
que quelques fois lors de dangers ou de baisers. Deux fois dix ans dont seules quelques brides se promènent encore en ma conscience qui n’a sûrement pas
commencé en 1994.
J’ai essayé de me
rappeler de ma première conscience, je n'ai réussi qu'à retrouver mon premier souvenir. Je suis dans un parc, je me balance
doucement, je n’arrive jamais à aller haut. J’aimerais aller plus vite, je ne
veux pas voir que je suis si bas, je ferme mes yeux très forts. Quand le vent
fouette mon visage et le temps entre deux hauteurs maximums est assez grand, j’ouvre
les yeux. Je me balance autrement, j’ai compris comment fonctionne la
balançoire, je sais, je sens que la balançoire ne peut me porter plus haut, j’ai
atteint sa limite.
D’autres épisodes de
ma vie, enfouis dans mon brouillard, sont liés au même petit garçon sur sa
balançoire.
Mon père cherche
partout. Ça sent le brûlé, mais nul ne le sent. Je vais à la fenêtre, une pièce
du toit enflammé tombe de deux étages plus haut. Nous sortons, tout le bloc est
en feu, et moi je veux aller jouer au parc. Ça, on me l’a raconté, je ne me
rappelle que du morceau en feu. On ne me laisse pas aller jouer au parc même si
rationnellement, on ne peut rien faire pour aider les pompiers. J’apprends que
certaines choses doivent être vécues en personne, qu’elles sont une expérience
symbolique, qu'elles ont une importance symbolique.
J’apprends aussi que
le feu n’est pas un jeu.
Ma première école
primaire, je suis second de classe et je suis jaloux. C’est un territoire et
ceci est une lutte, je serais le plus intelligent.
La cours de la même
école, nous sommes trois, nous sommes ensemble et nous sommes forts. Les autres
sont plus, mais nous ne faiblirons jamais, l’honneur avant tout, nous mourrons
bien avant l’abandon.
Bien plus tard, j’ai
compris que cette rivalité dans cette cours n’était qu’un jeu et que ceux de l’équipe adverse étaient de bons amis du Yann de première année. Mais ce sentiment
de courage et d’honneur avait pris une dimension épique que je garderais jusqu'au
moins ce jour.
Je quitte la ville pour la campagne, une nouvelle école. Choc de culture, l’intelligence et l’honneur
m’importait, le monde s’en foutait. J’étais le plus petit, j’étais nouveau. Quelque chose est mort en moi là-bas, beaucoup d'autres créatures y sont nées
La cour de cette même
école, du muscle s’avance vers moi, je lui demande s’il sait ce qu’est une racine
carrée ou une division. Il avance, je recule. Il s’en fout, je lui prouve cinq
fois par A=B qu’il ne sait qu’une fraction de ce que je sais, qu’il est
incapable de penser, qu’il est même complètement stupide. Il charge.
Mes valeurs ne sont
pas celle de mon nouveau monde. J’aimerais partir. J’ai appris le courage, j’ai
appris l’honneur. Je confronte toujours et pour cela, je me fais punir.
Sortie scolaire, je
crois que c’était de la raquette, je sais que j’ai lancé des chaises. J’ai été
puni, et condamné injustement pour m’être défendu, à rester assis sur la chaise qui gît
à quelques mètres de moi et de l’adulte qui tente de me maîtriser physiquement.
Tous les adultes de l’école sont des connards, il s’en foute de nous. Je
confronte.
J’ai un ami qui vit
proche de chez moi. On se bat avec des branches, je rêve de faire du grandeur
nature, mais mes parents ne m’y accompagnerons jamais et je n’ai pas l’âge d’y
aller. Un jour, son père ramasse toutes les branches sur le terrain et fait un
feu. J’arrive à déterminer à partir d’un morceau de cinq centimètre de large qu’il
a détruit un de mes bâtons préférés d’un coup d’œil. Je l’utilisais depuis plus
d’un an, je le connaissais par cœur.
Dans ma vie, tout s’accélère,
je n’ai plus le temps pour les morales d’enfant. Je n’ai plus le temps de
fermer les yeux sur la balançoire. Et pour la première fois, j’ai peur de la
mort.
C'est environ ici que je commence à exister, il y avait un avant, il y a un maintenant.
Tous mes étés, entre 7
et 13 ans, je vais au même camp municipal. Mon avant dernier animateur, Cortex,
me donne envie d’animer. Il n’est pas comme les autres animateurs, c’est un
chef de meute qui n’hésite pas à faire des folies pour nous. Une fois, en
camping, un responsable nous trouve entourant une pierre arrosée de kérosène
enflammée en train de faire nos hommes des cavernes et de grumeler « hou, hou,
feu de roche! »
Dernière journée de
mon primaire. Des gens pleurent. Je suis heureux. Vraiment très, très heureux.
Je verse une seule larme sur mon trajet d’autobus. J’adore ce trajet d’autobus.
J’y ai lu plus de livre que n’importe qui d’autre qui l’emprunte, je ne sais
pas que le prochain sera encore plus long, et que je lirais encore plus vite.
Dans le bus du
secondaire, deuxième année, je déteste « l’autre Yann ». Il est
sarcastique, fendant, irrévérencieux et s’assoit souvent avec moi.
Dans le bus du
secondaire, troisième année, bataille avec « l’autre Yann », nous
nous immobilisons l’un l’autre, et au même moment, nous mimons de frapper l’autre
avec nos fronts en disant, de manière simultanée, « Il reste ma tête! ».
Bien sûr, deux personnes qui miment de se frapper se rencontrent à mi-chemin, certains ont des coups de foudre, nous, c'était sur un coup de tête.
« L’autre Yann »
est mon meilleur ami.
Tous mes étés entre 14
et 16 ans, je travaille au même camp qui a vu mes dernières vacances. Je tente
d’être comme Cortex, mais en plus sage.
Nous sommes quatre et
avons pris le contrôle d’une porte assez fréquentée. À chaque personne qui
passe, nous nous inclinons poliment d’un « bonne journée ». Certains se sentent insultés. Tant pis.
Je participe à mon
premier grandeur nature, mon personnage passe 12 heures à s’enfuir, se faire
des amis orcs et jouer de la flûte. Je fais de cette activité l’une de mes
passions.
À 17 ans, l’administration
de mon camp change, on ne me reprend pas. Premier pas dans l’inconnu depuis le
secondaire. Je fais des ménages durant deux jours, démissionne et suis engagé
le lendemain dans un autre camp de jour.
Au cégep, je me plais
la première année, je me sens en avance et ne m’en fait pas tellement pour mes
notes. Seule la chimie me pose problème. Je ne suis pas bon en laboratoire et
la manipulation me rend malade. J’ai toujours voulu être et été un cérébral. Je
réussi à passer, c’est l’important.
Je commence à
considérer que je suis peut-être, parfois, un adulte, c’est un pas de géant.
J'apprends l'existence de Bishop à cause d’un hasard, mon amie parlait d’architecture avec le représentant de Laval depuis plusieurs minutes, je m’ennuyais, j’ai trouvé un kiosque mauve inoccupé et ai commencé à lire une brochure. La femme qui s’en occupait revient des toilettes et me demande ce qui m’intéresse. Alors que je dis le mot « physique », son sourire glisse. Avec son accent anglais, elle me dit que la physique à Bishop est très spéciale et vraiment pas pour tout le monde. Je veux en savoir plus, elle m’explique que Bishop se concentre surtout sur l’astrophysique.
Je décide d’aller à Bishop.
Un été en camp de
vacance, à plusieurs heures de route de chez moi. Je réussi à créer des
souvenirs incroyables pour les enfants, je suis en conflit avec mon patron. Même
s’il avait voulu me reprendre l’an prochain, il me dégoûte, je refuserais. Je fuis vers
quelque chose d’autre. J’envoie un CV au planétarium de Montréal, mais je n’ai
pas de réponse. Ma mère en parle à une de ses amies qui envoie directement mon CV a une amie,
mais je n’ai pas de réponse. J’en parle à ma grand-mère, on m’appelle moins de
48 heures plus tard. Merci grand-maman. Je passe l’entrevue avec succès, mon été suivant sera à
Montréal avec l’emploie le plus incroyable que je peux imaginer, dans une ville
qui m’agresse en permanence.
Après un spectacle au
planétarium, quelqu'un s’approche de la console. « Salut Yann »,
quelques secondes de regard. « Cortex. » Merci de t’être souvenu de
moi, c’est sans doute le plus beau compliment que tu pouvais me faire.
Aujourd'hui, j’ai 20
ans. Je suis étudiant en physique et littérature anglaise, et lorsque je
regarde derrière moi, je vois d’immenses ombres qui sont autant de raisons qui
m’ont poussé à partir, à fuir si souvent. Mais j’aperçois également des
hasards, des valeurs qui m’ont poussé à avancer, à détruire l’inconnu à grand
renfort de curiosité et d’optimisme. Et maintenant, je porte mon regard vers l’avant
et je lève la tête, avec la fierté d’un petit bonhomme sur la balançoire et le
courage d’un trio d’honorable guerrier dans la cour de récré, avant de faire
toujours un pas de plus, plus haut, plus vite, meilleur. Il y a quelques années, je trouvais ridicule l'enfant qui prouvait par A=B que son assaillant était stupide. Aujourd'hui, j'en suis fier.
Aujourd’hui, j’ai
pensé, j’ai regardé en arrière, et j’ai regardé comment j’allais vers l’avant. Et
je me suis souhaité bonne fête.
Yann,
Bonne fête et merci
pour tout.
Yann.
Demain est l’équinoxe
de printemps. N’oublier pas de le célébrer, ou au moins d’y penser.
P.S. Mon premier texte en anglais est en écriture et sera bientôt en ligne si ça ne vous dérange pas (c'est ma fête, je le mettrais en ligne même si ça vous dérange).
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