jeudi 19 décembre 2013

19. Blé d'inde

Blé d'inde

La fête se termine bien passé minuit, nous partons vers deux heures du matin.

J’ai le temps de m’endormir et de me réveiller deux fois, nous déposons les deux autres, ma conductrice a faim, nous nous arrêtons chez Ashton. Elle prend une poutine, moi, un verre d’eau. Je tolère mal le fastfood, il me reste sur le cœur et me rend souvent malade. Il est quatre heures du matin, qu’est-ce que je fous dans un Ashton?

Nous sommes les deux assis, elle mange, je bois. Discussion conventionnelle sur la soirée passée, le casse-croûte se vide rapidement, la fermeture est imminente, outre les employés, plus que nous et un homme dans la quarantaine.

Elle a terminé, mais la discussion a déviée sur les manteaux, puis sur nos parents et l’homme s’approche.

-Vous-êtes vraiment beaux tous les deux, ensemble. Un beau petit couple, on voit vraiment l’amour dans vos yeux. Vous me faites penser à moi et ma femme quand on avait vingt ans, on s’est marié, quatre enfants, pis là, on est divorcé. C’est ça qui va vous arrivez, mais pareil, ça c’est important, faites jamais de violence, restez calme. »

Ma conductrice pouffe de rire discrètement et le remercie. J’ai remarqué (appelez moi Capitaine Obvious (1)), dès le début de son discours, que l’homme était ivre.

Il continue de sa tirade plus ou moins sensée quelques secondes, puis on lui annonce que nous ne sommes pas ensemble.

En fait, on se connait depuis quelques heures.

Il s’en va après son taxi, nous partons quelques minutes plus tard. Son taxi n’est pas là, il nous salue de la main, je le salue en retour.

En tournant le coin, elle se tourne vers moi et me dit « Quand même, s’tun maudit blé d’inde. » J’ai ri, elle vient de Chicoutimi et en deux fois deux heures de route, elle a qualifié de maïs quelqu’un qui oubliait son clignotant, quelques invités de la fête, une situation drôle avec ses amis. Je crois qu’elle m’a aussi traité de blé d’inde, mais je ne me souviens plus dans quelles circonstances, c’était peut-être quelqu’un d’autre.

Je lui répondu qu’en effet, mais que je trouvais surtout ça triste.

Ce n’est pas ma première rencontre de ce type (2). Ce n’est pas non plus la dernière. J’en suis conscient. Je les redoute.

Il n’y a pas de morale que je tienne à apporter, c’est simplement une histoire. Et une demande. Ne soyez pas un blé d’inde dans un Ashton.

C’est aussi une promesse. Je ne serais pas l’homme dans la quarantaine qui regarde, la vision déformée par l’alcool, deux jeunes adultes pour venir leur raconter, saoul, sa séparation avec sa femme.

À la question « qu’est-ce que je fous dans un Ashton? », il ne devra y avoir que de bonnes réponses.




Je crois que c'est un joyeux solstice d'hiver. 

Je reste à l'affût.


Odin 








1. Je trouvais que « No shit Sherlock! » n’avait pas sa place dans ce texte.
2. Ce type  n’étant pas ce type en particulier, mais de ce type en général.



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