samedi 6 décembre 2014

25. Hurl-ô-blanc

Hurl-ô-blanc

Après plusieurs semaines sans écrire pour écrire, sans lire pour lire, se lancer dans un texte pour le simple plaisir de le faire devient un art complexe, car des semaines de travaux littéraires obligés et, surtout, productifs, paralyse cette capacité à laisser tomber les barrières de la discipline et à laisser libre cours à une créativité que l'on doit maintenant débrider plutôt que contrôler (pour ne pas dire réprimer).

L'hiver me frappe chaque année par sa blancheur. Je sens que l'univers entier se ligue pour me livrer une seule et unique information : BLANC. Hurlé haut et fort du haut de nuages infinis et insipides, la neige m'entoure, m'assiège par son ennui glacé. En dessous, le vert de l'herbe, le gris de la pierre, le bleu de l'eau que j'aimerais garder. Au loin, mais tout de même en dessous, le noir du goudron, le blanc des trottoirs, l'odeur des poubelles que j'aimerais oublier. Exception intrinsèque à l'ère post-industrielle, les routes où le blanc devient noir, brun et gris. Les routes, seuls chemins praticables entre A et B, A, l'endroit où je suis, et B, l'endroit où je vais et ou je dois aller, et où je me retrouve embourbé plusieurs fois par jour.

On retrouve, dans la culture populaire, de grands espaces blancs qui symbolisent la pureté, le calme et le paradis y est juché sur des nuages immaculés. Pourtant, l'absence de couleurs en est aussi une d'informations, de moyens ou d'idées, c'est peut-être pourquoi dans certains films de science-fiction, le couleur blanche devient parfois celle de l'enfer, du mal et de la mort, venant ainsi renforcer un sentiment d'aliénation chez le téléspectateur. Encore plus paniquante est la blancheur lorsque celle de la feuille n'est pas troublée par l'encre ou la mine du crayon d'un auteur au désespoir, incapable d'écrire, car peut-être paralysé par une discipline incompatible avec le caractère imparfait de son ébauche mentale ou par les liens qui maintiennent sa créativité, bridée, ou réprimée…

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Si étaient assemblées l'une à la suite de l'autre chacune des pages de chacun des livres de chacune des étagères de chaque salle de l'infinie Bibliothèque de Babel telle que décrite par Borgès et que celles-ci étaient méticuleusement copiées sur une seule et unique page, cette page serait plus noire qu'une énigme sanglante et nocturne imbriquée dans un contexte palustre par lune noire. Dans ce seul carré noir, résumé écrasé de tous les livres possibles au sens probabiliste du terme, comme le décrit par l'Auteur :

« Tout ce qu'il est possible d'exprimer, dans toutes les langues. Tout : l'histoire minutieuse de l'avenir, les autobiographies des archanges (…) l'évangile gnostique de Basilide, le commentaire de cet évangile, le commentaire du commentaire de cet évangile, le fait véridique de ta mort, la traduction de chaque livre en toutes les langues, les interpolations de chaque livre dans tous les livres… »

Et si de ces innombrables lignes, nous tirions plutôt toute la noirceur du monde, non pas celle des mots sur le papier et du démoniaque figuré, mais celle qui fait peur dans une brume nocturne. Ce noir serait les infinies explosions d'insondables murmures porteurs de tous les mensonges et non-sens que portent les pages de la Bibliothèque de Babel, de chaque vérité et de ces milles déclinaisons que nul n'oserait imaginer ou ne saurait se montrer digne de trouver.

Si j'aime à imaginer le blanc comme absence et les ténèbres comme une toile absurdement dense cachant ce que tous cherchent, ou craignent, mensonges et vérités, c'est peut-être pour rationaliser mon dégoût de l'hiver. C'est peut-être aussi parce que j'ai envie d'écrire, parce que j'aime écrire, et que devant moi ne se dresse plus qu'un seul examen pour un cours qui a avalé chaque semaine une part importante du temps que j'aurais donné à lire et écrire en m'obligeant à écrire et lire. Et finalement, parce que ces mots glissent l'un sur l'autre dans mes pensées depuis plusieurs nuits.


Odin