mercredi 19 mars 2014

22. Bonne fête Yann

Bonne fête Yann

Aujourd'hui, on m’a rappelé mon anniversaire et je commence à écrire avant même de m’être souhaité une bonne fête.

Aujourd'hui, ça fait deux décades que j’existe. De 1994 à 2014, 20 années où mon cœur ne s’est arrêté que quelques fois lors de dangers ou de baisers. Deux fois dix ans dont seules quelques brides se promènent encore en ma conscience qui n’a sûrement pas commencé en 1994.

J’ai essayé de me rappeler de ma première conscience, je n'ai réussi qu'à retrouver mon premier souvenir. Je suis dans un parc, je me balance doucement, je n’arrive jamais à aller haut. J’aimerais aller plus vite, je ne veux pas voir que je suis si bas, je ferme mes yeux très forts. Quand le vent fouette mon visage et le temps entre deux hauteurs maximums est assez grand, j’ouvre les yeux. Je me balance autrement, j’ai compris comment fonctionne la balançoire, je sais, je sens que la balançoire ne peut me porter plus haut, j’ai atteint sa limite.

D’autres épisodes de ma vie, enfouis dans mon brouillard, sont liés au même petit garçon sur sa balançoire.

Mon père cherche partout. Ça sent le brûlé, mais nul ne le sent. Je vais à la fenêtre, une pièce du toit enflammé tombe de deux étages plus haut. Nous sortons, tout le bloc est en feu, et moi je veux aller jouer au parc. Ça, on me l’a raconté, je ne me rappelle que du morceau en feu. On ne me laisse pas aller jouer au parc même si rationnellement, on ne peut rien faire pour aider les pompiers. J’apprends que certaines choses doivent être vécues en personne, qu’elles sont une expérience symbolique, qu'elles ont une importance symbolique.

J’apprends aussi que le feu n’est pas un jeu.

Ma première école primaire, je suis second de classe et je suis jaloux. C’est un territoire et ceci est une lutte, je serais le plus intelligent.

La cours de la même école, nous sommes trois, nous sommes ensemble et nous sommes forts. Les autres sont plus, mais nous ne faiblirons jamais, l’honneur avant tout, nous mourrons bien avant l’abandon.

Bien plus tard, j’ai compris que cette rivalité dans cette cours n’était qu’un jeu et que ceux de l’équipe adverse étaient de bons amis du Yann de première année. Mais ce sentiment de courage et d’honneur avait pris une dimension épique que je garderais jusqu'au moins ce jour.

Je quitte la ville pour la campagne, une nouvelle école. Choc de culture, l’intelligence et l’honneur m’importait, le monde s’en foutait. J’étais le plus petit, j’étais nouveau. Quelque chose est mort en moi là-bas, beaucoup d'autres créatures y sont nées

La cour de cette même école, du muscle s’avance vers moi, je lui demande s’il sait ce qu’est une racine carrée ou une division. Il avance, je recule. Il s’en fout, je lui prouve cinq fois par A=B qu’il ne sait qu’une fraction de ce que je sais, qu’il est incapable de penser, qu’il est même complètement stupide. Il charge.

Mes valeurs ne sont pas celle de mon nouveau monde. J’aimerais partir. J’ai appris le courage, j’ai appris l’honneur. Je confronte toujours et pour cela, je me fais punir.

Sortie scolaire, je crois que c’était de la raquette, je sais que j’ai lancé des chaises. J’ai été puni, et condamné injustement pour m’être défendu, à rester assis sur la chaise qui gît à quelques mètres de moi et de l’adulte qui tente de me maîtriser physiquement. Tous les adultes de l’école sont des connards, il s’en foute de nous. Je confronte.

J’ai un ami qui vit proche de chez moi. On se bat avec des branches, je rêve de faire du grandeur nature, mais mes parents ne m’y accompagnerons jamais et je n’ai pas l’âge d’y aller. Un jour, son père ramasse toutes les branches sur le terrain et fait un feu. J’arrive à déterminer à partir d’un morceau de cinq centimètre de large qu’il a détruit un de mes bâtons préférés d’un coup d’œil. Je l’utilisais depuis plus d’un an, je le connaissais par cœur.

Dans ma vie, tout s’accélère, je n’ai plus le temps pour les morales d’enfant. Je n’ai plus le temps de fermer les yeux sur la balançoire. Et pour la première fois, j’ai peur de la mort.

C'est environ ici que je commence à exister, il y avait un avant, il y a un maintenant.

Tous mes étés, entre 7 et 13 ans, je vais au même camp municipal. Mon avant dernier animateur, Cortex, me donne envie d’animer. Il n’est pas comme les autres animateurs, c’est un chef de meute qui n’hésite pas à faire des folies pour nous. Une fois, en camping, un responsable nous trouve entourant une pierre arrosée de kérosène enflammée en train de faire nos hommes des cavernes et de grumeler « hou, hou, feu de roche! »

Dernière journée de mon primaire. Des gens pleurent. Je suis heureux. Vraiment très, très heureux. Je verse une seule larme sur mon trajet d’autobus. J’adore ce trajet d’autobus. J’y ai lu plus de livre que n’importe qui d’autre qui l’emprunte, je ne sais pas que le prochain sera encore plus long, et que je lirais encore plus vite.

Dans le bus du secondaire, deuxième année, je déteste « l’autre Yann ». Il est sarcastique, fendant, irrévérencieux et s’assoit souvent avec moi.

Dans le bus du secondaire, troisième année, bataille avec « l’autre Yann », nous nous immobilisons l’un l’autre, et au même moment, nous mimons de frapper l’autre avec nos fronts en disant, de manière simultanée, « Il reste ma tête! ». Bien sûr, deux personnes qui miment de se frapper se rencontrent à mi-chemin, certains ont des coups de foudre, nous, c'était sur un coup de tête.

« L’autre Yann » est mon meilleur ami.

Tous mes étés entre 14 et 16 ans, je travaille au même camp qui a vu mes dernières vacances. Je tente d’être comme Cortex, mais en plus sage.

Nous sommes quatre et avons pris le contrôle d’une porte assez fréquentée. À chaque personne qui passe, nous nous inclinons poliment d’un « bonne journée ».  Certains se sentent insultés. Tant pis.

Je participe à mon premier grandeur nature, mon personnage passe 12 heures à s’enfuir, se faire des amis orcs et jouer de la flûte. Je fais de cette activité l’une de mes passions.

À 17 ans, l’administration de mon camp change, on ne me reprend pas. Premier pas dans l’inconnu depuis le secondaire. Je fais des ménages durant deux jours, démissionne et suis engagé le lendemain dans un autre camp de jour.

Au cégep, je me plais la première année, je me sens en avance et ne m’en fait pas tellement pour mes notes. Seule la chimie me pose problème. Je ne suis pas bon en laboratoire et la manipulation me rend malade. J’ai toujours voulu être et été un cérébral. Je réussi à passer, c’est l’important.

Je commence à considérer que je suis peut-être, parfois, un adulte, c’est un pas de géant.

J'apprends l'existence de Bishop à cause d’un hasard, mon amie parlait d’architecture avec le représentant de Laval depuis plusieurs minutes, je m’ennuyais, j’ai trouvé un kiosque mauve inoccupé et ai commencé à lire une brochure. La femme qui s’en occupait revient des toilettes et me demande ce qui m’intéresse. Alors que je dis le mot « physique », son sourire glisse. Avec son accent anglais, elle me dit que la physique à Bishop est très spéciale et vraiment pas pour tout le monde. Je veux en savoir plus, elle m’explique que Bishop se concentre surtout sur l’astrophysique.

Je décide d’aller à Bishop.

Un été en camp de vacance, à plusieurs heures de route de chez moi. Je réussi à créer des souvenirs incroyables pour les enfants, je suis en conflit avec mon patron. Même s’il avait voulu me reprendre l’an prochain, il me dégoûte, je refuserais. Je fuis vers quelque chose d’autre. J’envoie un CV au planétarium de Montréal, mais je n’ai pas de réponse. Ma mère en parle à une de ses amies qui envoie directement mon CV a une amie, mais je n’ai pas de réponse. J’en parle à ma grand-mère, on m’appelle moins de 48 heures plus tard. Merci grand-maman. Je passe l’entrevue avec succès, mon été suivant sera à Montréal avec l’emploie le plus incroyable que je peux imaginer, dans une ville qui m’agresse en permanence.

Après un spectacle au planétarium, quelqu'un s’approche de la console. « Salut Yann », quelques secondes de regard. « Cortex. » Merci de t’être souvenu de moi, c’est sans doute le plus beau compliment que tu pouvais me faire.


Aujourd'hui, j’ai 20 ans. Je suis étudiant en physique et littérature anglaise, et lorsque je regarde derrière moi, je vois d’immenses ombres qui sont autant de raisons qui m’ont poussé à partir, à fuir si souvent. Mais j’aperçois également des hasards, des valeurs qui m’ont poussé à avancer, à détruire l’inconnu à grand renfort de curiosité et d’optimisme. Et maintenant, je porte mon regard vers l’avant et je lève la tête, avec la fierté d’un petit bonhomme sur la balançoire et le courage d’un trio d’honorable guerrier dans la cour de récré, avant de faire toujours un pas de plus, plus haut, plus vite, meilleur. Il y a quelques années, je trouvais ridicule l'enfant qui prouvait par A=B que son assaillant était stupide. Aujourd'hui, j'en suis fier.

Aujourd’hui, j’ai pensé, j’ai regardé en arrière, et j’ai regardé comment j’allais vers l’avant. Et je me suis souhaité bonne fête.




Yann,

Bonne fête et merci pour tout.

Yann.




Demain est l’équinoxe de printemps. N’oublier pas de le célébrer, ou au moins d’y penser.



P.S. Mon premier texte en anglais est en écriture et sera bientôt en ligne si ça ne vous dérange pas (c'est ma fête, je le mettrais en ligne même si ça vous dérange).

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